Alain VANNIER

Emois de musique, guitare et moi

J f 1953

Jacques et Françoise se marient au Mans, dans la Sarthe, en juillet 1953. Quelques mois après, jeunes, une valise à la main, mais avec courage et détermination, ils quittent la France en parcourant des milliers de kilomètres. Ils s'installent, au soleil, en bordure d'océan. Et c'est donc ainsi que survient ma naissance, en 1955, en Guinée. Mes parents ont toujours été sensibles à la musique, ma mère avait même pratiqué un peu le piano dans son adolescence. Dans la vaste maison, avec de grandes baies libres dans tous les murs, il devait y avoir un meuble magique. Un coffre sur pieds, ouvrant sur le dessus, tenait une place privilégiée dans la salle de séjour. Il renfermait un poste de radio avec un gros haut-parleur en façade et un tourne-disque. Le poste de radio ne recevait que les ondes courtes, ondes moyennes et ondes longues. Pas de modulation de fréquence à l'époque. Le côté magique de l'appareil était le tourne-disque qui pouvait recevoir, sur l'axe de la platine, plusieurs disques, au moins trois ou quatre, qui pouvaient être écoutés l'un après l'autre sans intervention extérieure.En fin de lecture d'un disque, le bras de lecture prenait une position qui déclenchait un mécanisme de descente du disque suivant sur la platine pour être ainsi écouté.

Notre petite famille a vécu ensuite un retour forcé vers la métropole, politique oblige. Nous avons séjourné dans la banlieue de la ville de Lyon, les affaires de mon père en avait décidé ainsi. Arrivée du premier poste de télévision, la télé ! Mais cela n'avait pas pour autant émoussé notre envie d'écouter de la musique grâce à la collection de disques rapatriée. Notre heureux séjour à Lyon fut bref car mon père est décédé brutalement peu de temps après notre installation, j'étais âgé d'un peu plus de cinq ans.

Mon frère et moi avons été pris en charge par notre grand-mère maternelle, le temps que notre mère redresse une triste situation et qu'elle se remette d'un très grave accident de la route. Par bonheur, il y avait un piano dans le salon de la maison, la chère grand-mère ayant été très bonne musicienne dans sa jeunesse. Nous avions le droit de sagement aligner des notes sur cet instrument qui n'était peut-être plus très bien accordé. Je me dis que cela devait être bon pour garder une certaine sensibilité à la musique.

Quelques années plus tard, ma mère s'était remariée et nous habitions dans un immeuble à loyers modérés, dans le centre de la ville du Mans. Par hasard, j'ai trouvé dans une cave de cet immeuble une vieille guitare quelque peu cachée par des boîtes de carton et autres objets. A force d'observations, j'apprenais que cette guitare était une guitare "manouche" et que même avec ses vieilles cordes rouillées, elle résonnait comme telle. Avec joie et frénésie j'ai remis cette guitare en état de service. Je me suis aventuré à réaliser un vernis sur la caisse et la table. J'ai réparé les mécaniques, acheté et mis en place des cordes neuves. A cette époque, pour accorder l'instrument, je ne connaissais pas l'astuce qui consistait à décrocher le combiné du téléphone pour entendre la tonalité qui donnait avec la justesse absolue le la. Alors, j'ai acheté dans un magasin de musique, un accordeur constitué de six tubes d'acier comportant chacun une lame à faire vibrer par le souffle, comme un harmonica. Je possède toujours ce charmant objet dans son petit étui en plastique. Et là ? … Révélation ! Au gré de mon humeur, de mon imagination, au moins au début, j'ai gratté ou pincé les cordes, l'une après l'autre, ou plusieurs à la fois, durant des heures chaque jour. Il fallait, à mon oreille, que les notes, les groupes de notes soient à mon goût.

A l'issue de cette période de découverte, évidemment, je fus obligé de me résigner à acquérir un manuel indiquant la position des doigts sur le manche pour réellement jouer de la musique, faire sonner des accords. Ensuite, découvrir qu'avec trois accords, on pouvait interpréter une chanson, c'était, ni plus ni moins, formidable.

Je fus rapidement attiré par l'interprétation de la musique du film "jeux interdits" de René Clément, musique interprétée à la guitare par le grand Narcisso Yepes. La douceur, la couleur du son me poussèrent à m'équiper d'une guitare "classique", avec des cordes en nylon, guitare de fabrication espagnole, de bonne facture. J'ai cédé, pour une somme modique la vieille guitare manouche à un ami de mon âge qui faisait partie de la bande de copains et copines du quartier. Cet ami, Jean-Hervé, se souvient toujours, plus que moi d'ailleurs, des premières instructions pour pratiquer sur cet instrument qu'il conserve encore.

Je n'ai pas le souvenir d'avoir été attiré par la variété, par la chanson populaire en général, productions diffusées sur les disques ou sur les ondes radiophoniques. Toutefois, je n'ai jamais détesté la chanson pour autant. Il me reste en mémoire d'excellents chanteurs, auteurs compositeurs que j'ai écotés assidûment.

Et, bien sûr; je ne suis pas passé à côté, sans l'apprécier, de la pop-music, avec ses groupes ancrés dans notre mémoire tels que les Beatles, les Rolling Stones, les Mody Blues, Procol Harum, etc.. Ils nous faisaient danser dans les boums organisées le plus souvent dans le garage de la maison de nos copines.

Soudain, je ne sais plus par quel hasard, je découvris, peut-être dans une émission de télévision, un ou plusieurs morceaux de guitare en finger-picking, la guitare à Dadi. Le grand, l'inoubliable guitariste et compositeur français, Marcel Dadi. Ce fut une révélation, une passion dévorante qui me conduisit à potasser, avaler, des tablatures de ce style de musique qui m'avait conquis. Mais pour produire et profiter du son adapté à ce type de répertoire, j'avais cédé ma guitare "classique" pour m'offrir une vraie guitare folk, une Yamaki, japonaise mais avec une estampille de la signature d'un luthier, peut-être réputé, au nom de Di Mauro. 

Dans ce style de musique, avec un seul instrument, la mélodie et l"accompagnement sont présents dans le même morceau.

 Je bouclai ma période d'adolescent, entrai dans l'âge adulte, l'âge où s'amuser tout seul ne suffit plus, comme disait Georges Brassens dans une chanson, dans ce style de musique. Parmi les plus connus comme  Maxime Le Forestier, Stephan Groosman, Stephen Stills, Neil Young, Simon and Garfunkel, et d'autres, formèrent min courant porteur, bien que je n'eus pas le courage et le temps d'apprendre et de m'imprégner de toutes leurs productions.

Malgré un reste de caractère timide dont j'avais peine à me débarrasser, je réussis à rencontrer de bons guitaristes jouant seuls ou en groupes dans le répertoire folk américain, avec des extensions dans la country, le blue grass.Dans le début de ma carrière professionnelle, j'eus la chance de conserver des relations avec des étudiants de la faculté des lettres (université du Maine), ces derniers me conduisant à lier connaissance avec des assistants britanniques qui dispensaient des cours d'anglais dans les collèges du département de la Sarthe. Ce fut l'occasion de créer une espèce d'association nommée le Club d'anhlais. Parmi les assistants, qui vivaient au Mans pour plusieurs années aussi en qualité d'étudiants, se trouvaient de bons musiciens amateurs qui, avec votre humble serviteur, ont formé un groupe.

Marcel dadi lght

Durant deux ou trois années, de joyeuses soirées furent organisées de joyeuses soirées dans des cafés de la ville ou dans les locaux de l'université. Dans la limite des places disponibles, les étudiants et leurs parents étaient invités. De petits cahiers  de chansons, illustrés, étaient distribués à l'entrée. Alors tout le monde, au moins un peu anglophone, était sollicité pour chanter les refrains du répertoire folk britannique, américain, irlandais.

Dans cette période où mon activité professionnelle était importante mais sans être une obsession, je fis des escapades pendant des congés et notamment en Angleterre, toujours accompagné de ma guitare. Je fréquentai, dans ces déplacements, des boutiques de disques et piochai dans les bacs des albums des virtuoses de la guitare folk tels que Jerry Reed, Chet Atkins et, bien sûr, Doc Watson entre autres.

Chet atkins 1 lght
Chet atkins 2 lght

Certains pourraient dire que je me suis enfoui dans ce style de musique, mais je n'ai jamais rejeté, fermé mon esprit devant les autres musiques, le jazz, les œuvres de Django Reinhardt, la bossa nova, Led Zeppelin, Dire Straits, ….

Ensuite, pour moi, c'était inscrit dans le cours de ma vie et je ne le regrette surtout pas, je suis devenu père de famille, dit-on habituellement. Je n'ai peut-être pas eu le courage de mener de front  toutes mes passions en dehors de mon métier qui ne m'a jamais lassé. Et la musique fut laissée de côté.

Bien des années plus tard, ayant toutefois conservé ma "vieille" guitare folk et à mes moments perdus, je me suis remis à gratouiller, pourrait-on dire. J'ai trouvé l'exercice plus aisé que je ne l'aurais cru. Des automatismes d'enchaînements d'accords sont revenus, notamment sur la base de compositions ou de chansons bien ancrées dans la mémoire. Peut-être serait-ce plus difficile pour un pianiste qui n'a pas touché son instrument depuis aussi longtemps ? Cependant, je manquai de motivation et d'enthousiasme assez rapidement. J'éprouvais le sentiment de la nécessité de m'ouvrir sur l'extérieur, de rencontrer des musiciens.

Au terme d'une année de travail, 2007, au bilan très avantageux, je m'offris une très belle guitare folk, un modèle d'une marque dont j'ai rêvé durant de nombreuses années, Martin D28. Donc, plus question de reculer, il fallait pratiquer, travailler, jouer, d'autant plus que la réputation de ce type d'instrument dit que plus on l'utilise, le son est plus beau chaque jour.

Ceci m'a empli de courage et m"a fortement incité à me remettre au "travail", tout en gardant ma technique de jeu en picking, pour gonfler mon répertoire de chansons, si faible à cette période. Je gardai toujours en ligne de mire des titres de musique folk du magistral Doc Watson.

Un jour, à force d'apprentissage et de répétitions, seul, à domicile, je me sentis prêt à oser me présenter dans le cadre de scènes ouvertes. J'avais fait connaissance avec quelques musiciens qui m'avaient recommandé l'établissement où je me sentis à l'aise immédiatement le café du Pilier Rouge, au sein du Vieux-Mans. Momo, la patronne, était si accueillante, elle a donné naissance à une tranche de vie inoubliable. Le plus enthousiasment fut de se rassembler, trois ou quatre musiciens  sur la scène, pour l'interprétation d'un ou plusieurs titres connus. Ce fut souvent bien joyeux et réussi. Sacrées soirées !

Doc watson 1 lght
Doc watson 2 lght

Je tenais ensuite, avec beaucoup plus de temps libre, à garder le contact avec l'ami d'adolescence, dont j'ai parlé précédemment, Jean-Hervé. Plusieurs fois nous nous sommes vus au salon des instruments d'occasion de Neuvy-en-Champagne, toujours organisé en début de mois de septembre de chaque année.Puis, au cours d'une journée au temps maussade, je lui ai rendu visite à son domicile.  Inst                                 

allés confortablement dans un canapé, à proximité d'un bon feu de cheminée, de quoi avons-nous parlé ? Musique, guitare évidemment ! A la suite de quelques échanges de phrases musicales avec nos guitares, mon cher ami me mit en relation avec Gérard, incontournable Gérard, fondateur et président de l'association St Co Musicos. Les présentations furent ainsi faites via un téléphone portable.           

Une nouvelle aventure a donc ainsi débuté. Au cours de quelques entrevues avec Gérard, dont j'étais aussi demandeur, nous avons échangé, pas seulement des phrases musicales mais aussi des avis sur des titres, des morceaux à interpréter le plus souvent harmonica plus guitare et chant. Après des répétitions, mises au point, peut-être pas assez nombreuses, nous avons donc formé un duo, baptisé Duo Vannier. Je garde en souvenir une représentation privée, un soir, où le premier titre, The Pink Panther, que nous avions cru bien rodé, fut une succession de "couacs" bien audibles. Heureusement, d'autres morceaux furent sauvés de la catastrophe.

Ceci fut pour moi l'occasion de découvrir le rôle majeur de l'enregistrement sonore, ou mieux, par video, pour analyser les prestations dans l'objectif d'améliorer le phrasé, la diction, le rythme la synchronisation. Tout ce qui doit être fait pour respecter les auteurs, les compositeurs des morceaux à interpréter. J'ai bien vu là les gros défauts accumulés et les limites du travail solitaire chez soi.

D'autres prestations furent présentées, en privé, avec d'autres membres de l'association St Co Musicos, toujours avec cette aide précieuse apportée par les enregistrements.

Est survenue ensuite une épidémie, une maladie affectant les voies respiratoires particulièrement et venue de la Chine, loin de chez nous. Elle a touché tous les continents.

Nos dirigeants politiques ont jugé utile de bloquer le fonctionnement du pays et d'aliéner notre vie privée avec nos libertés, mais les musiciens de St Co Musicos se sont mobilisés pour que la musique perdure et que les prestations caritatives prévues soient maintenues. J'ai, autant que possible, contenu ma colère face à l'absurde obligation de jouer de la musique et de chanter dans un EHPAD avec un masque de protection, alors que mon complice a pu jouer de l'harmonica, instrument à vent par définition.

En cette période singulière, a été mis en sommeil forcé un établissement commercial tout aussi singulier avec une activité de restauration situé à Changé, près du Mans, brocante et restaurant.

A des occasions diverses, nous avons fait connaissance avec des musiciens, devenus plus tard membres de l'association, qui avaient choisi ces locaux pour leurs répétitions, leur préparation d'un répertoire musical. Ce lieu, avec sa dimension, son cadre extravagant et unique, a déclenché chez nous un énorme enthousiasme à vouloir en faire une salle de spectacles musicaux. Musiciens ingénieux, bricoleurs, techniciens, nous avons tenu des réunions de projet, avons retroussé nos manches pour atteindre l'objectif. Création d'une scène, installation d'une sonorisation avec enceintes acoustiques, d'une petite régie et mise en place d'une batterie d'éclairages adaptés. Depuis ce travail collectif est né le Bistro Broc Café que l'on connaît aujourd'hui. Le duo Vannier y a essuyé les plâtres, pourrait-on dire, durant quelques soirées où moins d'une dizaine de spectateurs, familles et amis étaient accueillis. Il fallait compter sur le côté positif de l'entreprise matérialisé par la multiplication des prises de contacts avec des musiciens, chanteurs, groupes de styles différents. Nous pouvons parler assurément de succès. Les programmations en cours en attestent.

Pour conséquence, un musicien de notre génération voulait fermement, en qualité de contrebassiste, intégrer au moins une formation. Le répertoire exploité par le duo a semblé convenir et après quelques répétitions, notre ami Daniel est donc venu compléter la sonorité  notre groupe pour en faire le trio que vous pourriez connaître aujourd'hui sous le nom de trio Vannier.

Avec les années qui passent, une chose est sûre, une vie sans musique me rendrait fou.

Qu'emporteriez-vous sur une île déserte ? …

Alain 230730 lght

The show must go on !